Tribulations d'une prof de yoga

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Cela fait maintenant un peu plus de 2 ans que j’ai démarré ma formation pour devenir prof de yoga. À cette époque, une incroyable révolution, dans ma tête et dans ma vie, était en marche. Depuis, elle aura généré de nombreux bouleversements, tant sur le plan pro que perso.

Je n’ai jamais douté de ma réorientation. Je n’ai jamais regretté mon choix. Pourtant, changer radicalement de vie pour s’orienter vers le yoga implique tout un tas de responsabilités auxquelles je n’avais jamais fait face. En effet, j’ose croire que l’on enseigne le yoga uniquement par vocation et que cela implique nécessairement un investissement personnel sans précédent.

J’ai dans l’idée que, pour beaucoup, prof de yoga est un boulot tranquille où tu passes la moitié de tes journées en lotus dans ton pyjama à réciter des mantras à tes élèves. Pour d’autres, peut-être, je suis la prof de yoga branchée qui s’agite en collants fluo et casque-micro sur la tête.

Je ne suis rien de tout cela. D’ailleurs, la majorité des profs que je connais n’ont rien à voir avec tout ça.

Ma vision du prof de yoga, aussi personnelle et subjective soit-elle, est définitivement liée à ce qu’il/elle est capable d’offrir aux autres. Ça peut paraître un peu too much pour certains, mais pour moi, enseigner le yoga, c’est avant tout savoir être thérapeute.

C’est même, selon moi, la condition sine qua non à l’enseignement du yoga. Un/une prof de yoga doit savoir écouter et trouver les mots pour aider, guérir. Guérir au sens large, j’entends. Il/Elle doit véritablement se poser en guide vers le mieux-être, qu’il soit physique, mental ou spirituel. À l’instar de n’importe quel thérapeute, le/la prof de yoga est là pour aider ceux qui en ont besoin à faire la paix avec eux-mêmes.

Bref, prof de yoga apparaît pour moi un tantinet plus impliquant peut-être que d’enseigner le monopalme.

Sauf que c’est bien beau de vouloir aider les autres à trouver la paix, mais ne faudrait-il pas d’abord avoir balayé devant sa porte? Qu’est-ce qui se passe si toi-même, tu ne t’es pas trouvé ? Si tu n’es pas toi même en paix ? Si tu te bats, certes beaucoup moins qu’avant, mais toujours un peu quand même, avec tes vieux démons ?

Prof de yoga, thérapeute ou pas, comment aider les autres à se sentir mieux, quand soi-même on ne se sent pas au top. Face à nos élèves pour certains, nos patients pour d’autres, où s’arrête notre légitimité à prodiguer nos conseils ? Et plus largement, est-on en mesure d’aider les autres à aller mieux lorsqu’on est déjà en plein fight avec nous-mêmes ?

Vastes questionnements. Universels, probablement.

Je l’ai dit, enseigner le yoga implique un certain nombre de responsabilités. Les élèves qui assistent à tes cours t’écoutent avec attention (enfin je crois !), retiennent ce que tu dis et, si tout se passe bien, appliquent ce que tu leur enseignes. Ça fout quand même sacrément la pression, non ? Mieux vaut éviter de se planter si tu ne veux pas en envoyer un à l’hosto parce qu’il s’est bloqué le dos. Idem si ton élève décide de larguer son mec sur un coup de tête parce qu’au cours précédent tu auras eu un discours engagé sur le lâcher prise face à la négativité.

Au-delà de ça, il y aussi le propre travail que l’on fait sur nous-même et qui vient sans cesse enrichir ce que l’on donne aux élèves.

Plus ma formation de prof de yoga avance, plus j’en soulève un paradoxe éloquent. D’un côté, cette formation a vocation à nous enseigner comment devenir un bon prof de yoga. Comment enseigner le yoga aux élèves. Le yoga dans sa globalité, dans son implication au corps et à l’esprit. On nous donne les outils pour aider l’autre à se sentir mieux avec lui-même. D’un autre côté, c’est finalement à nous-même que servent d’abord ces précieux outils. C’est avant tout sur nous-mêmes que nous apprenons, au cours de cette formation.

Scoop toujours, sauf erreur de ma part, je n’ai pas encore atteint le samadhi. Comme tout le monde, je trace ma route, parfois semée d’embûches, en essayant de faire le max avec ce que j’ai. Petit à petit, les choses apparaissent plus clairement. Les embûches semblent de moins en moins insurmontables. Parfois même, elles se montrent nécessaires. Pourtant, elles sont toujours là. Alors que faire dans ces moments-là ? Ces moments de doute où l’on ne sait même plus si on a fait les bons choix, si on est fait pour enseigner. Et si ce n’était pas pour nous le yoga ? Et si on s’était trompé depuis le début ?

Dans ces moments où l’on se sent un peu down, on a tendance à remettre un peu tout en question. Y compris nous-mêmes. On en vient même à s’interroger sur notre propre capacité à aider l’autre dans sa quête.

douter prof de yoga

Si j’ai choisi d’être prof de yoga, et j’en ai parlé récemment dans un article sur la méditation – d’ailleurs si vous ne vous y êtes pas encore mis, je vous invite à découvrir dès maintenant 10 bonnes raisons de vous mettre à la méditation – c’est avant tout parce que j’avais envie d’aider les autres. J’avais besoin de me sentir humainement utile. Après un long travail sur moi-même – réflexions, tergiversations, tests en tout genre et autres discussions, j’ai compris que c’était vraiment mon truc. Non seulement c’était ce que je voulais, mais visiblement, j’étais faite pour ça. J’ai les armes qu’il me faut pour avancer dans cette voie. Bonne nouvelle ! Mais dans ce cas, pourquoi en douter ?

Parce que c’est humain ! Sauf qu’en réalité, si on sait l’écouter, la vie nous montre qu’il n’y a pas vraiment de raison de douter.

Dans les faits, quand j’en arrive à douter de ce que je peux transmettre aux autres, je sais que, pour autant, je ne dois rien lâcher. Facile à dire parfois, quand on a juste envie de rester au fond de son lit et de mater des séries toute la journée. Mais bouger, s’activer, c’est le meilleur remède. Continuer d’avancer, de faire ce qu’on sait faire de mieux, écouter, conseiller, aider les autres dans leur quête. Bref, j’essaie de faire comme si de rien n’était, comme si je ne doutais pas.

Cette méthode fonctionne plutôt bien finalement. Passer outre les agitations du mental, prêt à nous emporter vers la peur d’avancer, accepter la tempête du cerveau et attendre qu’elle passe, c’est plutôt efficace.

Mais ça ne suffit pas. En réalité, faire comme si tout allait bien et continuer d’avancer, c’est pas tellement ce que nous apprend Patou dans les Yoga Sutra. Même si, ok, ça peut fonctionner.

Mais qui est Patanjali ? 

Et si, au lieu de faire comme si ces doutes sur nous-mêmes n’existaient pas, on se les prenait en pleine face pour une fois. Si on tentait de les fixer une bonne fois pour toutes et de comprendre ce qu’il se passe.

Douter de soi, qu’est-ce que c’est ? Un problème d’estime de soi, ok. La peur du jugement. Sûrement. En somme, douter de ce que l’on peut apporter à l’autre. L’autre, qu’il soit élève ou patient, vient te voir pour une raison bien spécifique. La plupart du temps, résoudre un problème, non ? Il vient te voir toi pour que tu l’aides à aller mieux. Si ça met pas un peu la pression ça… Surtout quand, toi-même, tu revois tous tes choix pro et tu te lances dans l’enseignement du yoga parce que justement, tu veux aider les autres à résoudre leur problème. Sauf que tu ne sais plus si tu en es capable !

Bref on est d’accord, c’est le bordel.

C’est parfaitement flagrant dans les cours individuels que je donne. Souvent, je me mets une énorme pression car j’ai le sentiment que l’élève en attend beaucoup de moi et qu’il faut absolument que je colle à ses attentes, voire que je les dépasse. Il faut par dessus tout que je sois capable de répondre à toutes ses questions, de lui donner tout ce qu’il attend. Il faut que chaque cours soit à la fois original, intéressant. Non, passionnant plutôt. Surtout, il faudrait que l’élève, à chaque nouveau cours, ait une révélation. Il faudrait qu’il sorte en se disant « Ah ouais, je voyais pas les choses comme ça, ça va changer ma vie« . On le veut tous, ça, non ?

Tu m’étonnes qu’avec tout ça, tu sois sous pression. Et si par malheur, comme n’importe qui le ferait en parlant des trucs qui prennent la tête au boulot, toi, prof de yoga, tu commences à raconter ça, dans le lot tu peux être sûre qu’il y a un con qui va te dire « bah fais du yoga, ça ira mieux ». Ah ah ah. Qu’on se le dise, les profs de yoga n’ont pas plus la science infuse que les autres. Ils ont certes, plus d’outils pour avancer sur leur propre quête de soi, mais ce sont des gens normaux. Pratiquer le yoga, ok ça change la vie et ça ouvre sur mille choses. Mais ça ne nous déleste pas du droit de péter des câbles de temps en temps !

En réalité, je crois qu’il faut simplement comprendre un truc. Ok, il est légitime que l’élève (ou le patient) ait des attentes vis-à-vis de son/sa prof de yoga (ou de son thérapeute). Mais ces attentes ne regardent que lui. Elles ne doivent pas devenir un moyen de pression pour le/la prof. Et c’est au prof d’apprendre à se détacher de ses attentes. Attentes doubles d’ailleurs. Attentes de l’élève vis-à-vis du prof, et attentes du prof vis-à-vis de lui-même par rapport à ses élèves. Vous suivez ? Si si c’est easy 🙂  Bref, lâchons prise j’ai envie de dire !

lacher prise

Il y a, enfin, un truc que j’ai parfois tendance à oublier. Je suis toujours en formation. Toujours en apprentissage. Or je cherche toujours à aller plus vite que la musique et je me mets souvent une pression de dingue comme si ça faisait 20 ans que j’enseignais et qu’il fallait absolument que je maîtrise si ou mi. Oui oui, c’est mon côté Pitta. Pas de doute là-dessus 🙂

Dans mes billets, il m’arrive très souvent d’évoquer Epictète, une référence que j’affectionne tout particulièrement. Une fois n’est pas coutume, les Stoïciens ont décidément une philosophie qui m’inspire beaucoup. Voilà ce que disait justement Epictète dans son fameux Manuel.

« Parmi les choses qui existent, les unes dépendent de nous, les autres ne dépendent pas de nous. Dépendent de nous : jugement de valeur, impulsion à agir, désir, aversion, en un mot, tout ce qui a affaire à nous. Ne dépendent pas de nous, le corps, nos possessions, les opinions que les autres ont de nous, les magistratures, en un mot, tout ce qui n’est pas notre affaire à nous. »

« Les choses qui dépendent de nous sont par nature libres, sans empêchement, sans entraves. Les choses qui ne dépendent pas de nous sont dans un état d’impuissance, de servitude, d’empêchement, et nous sont étrangères. Souviens-toi donc que, si tu crois que les choses qui sont par nature dans un état de servitude sont libres et que les choses qui te sont étrangères sont à toi, tu te heurteras à des obstacles dans ton action, tu seras dans la tristesse et l’inquiétude, et tu feras des reproches aux dieux et aux hommes. Si au contraire tu penses que seul ce qui est à toi est à toi, que ce qui t’est étranger – comme c’est le cas – t’est étranger, personne ne pourra plus exercer une contrainte sur toi, personne ne pourra te forcer, tu ne feras plus une seule chose contre ta volonté, personne ne pourra te nuire, tu n’auras plus d’ennemi, car tu ne subiras plus de dommage qui pourrait te nuire. »

J’ajouterais juste « et tu seras heureux ».

Choisir d’être prof de yoga, du moins je le crois, c’est aussi avoir envie de rendre le monde meilleur. Le fait de faire ce que nous pouvons pour le rendre meilleur, c’est tout à notre honneur. Mais s’inquiéter de ne pas en faire suffisamment, ou craindre que cela ne fonctionne pas, c’est parfaitement stérile. Je crois que, si on le veut, il faut le faire, et c’est tout.

Enseigner comme on l’aime, répondre aux questions si on le peut, conseiller si on en ressent la nécessité, sans rien attendre de tout cela. À ce moment-là alors, toutes les questions que j’ai posées au début de cet article perdent tout leur sens. Elles n’ont même plus lieu d’exister. La notion même de légitimité dans l’enseignement, dans la thérapie, n’a plus lieu d’être non plus.

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Cet article a 6 commentaires

  1. salut Emilie,
    Cet article me rappelle quelqu’un il y a quelques années … 🙂
    La question de légitimité est très occidentale, je crois … Dans le yoga, enseigner fait partie intégrante du processus personnel. Bon, évidemment,il faut un peu d’expérience et un minimum de pratique. Mais il ne faut pas oublier qu’un principe de base est quand même que, quand on a reçu, c’est à notre tour de donner. L’enseignement n’est pas une question de légitimité mais une question de partage. Rester dans son coin tout seul et garder ce qu’on a reçu juste pour soi, parce qu’on a peur de se mouiller, c’est égoïste et puis c’est tout.
    Maintenant, je pense que c’est important de prendre du recul, sur les attentes justement. Tout ce qu’on peut faire, c’est transmettre un outil. Après, ce que les gens en font n’est pas de notre responsabilité. Un thérapeute, au bout du compte, n’a pas beaucoup de pouvoir et doit comprendre que ses propres attentes sont toujours néfastes. C’est pour ça qu’il est important de garder une forme de distance. Car la seule solution valable et durable doit émerger de la personne et non pas de nos « bons conseils ». namaste

    1. Emilie

      Hello Eve-Anne,
      J’imagine que beaucoup pourront en effet se reconnaître dans ce témoignage et ça réchauffe le cœur 🙂 La distance. C’est exactement ça. Distance, recul, tu as mis des mots sur ce que je voulais exprimer dans la dernière partie de l’article. Merci pour ce complément. Bises

  2. Aleksandra

    Salut Emilie ! Je comprends tout à fait tes doutes, et je suis rassurée de voir que tu les perçois comme normales. Ce qui est tout à fait le cas ! Je pense que tant qu’on est vivant, on doute toujours ! Mais l’important est de ne pas laisser les doutes tout contrôler. Et je crois que tu es sur le bon chemin ! Continue, tu seras une super prof de yoga ! 🙂

  3. Natali

    Bonjour Emilie,
    J’ai beaucoup aimé tes doutes et questionnements. Je le suis quasiment tt le tps…
    Je suis en reconversion professionnelle et j’aimerais savoir quelles sont les formation de prof de yoga? Cela peut être pris dans le cadre d’un CIF?
    J’en fais depuis peu et j’adore.Je trouve surtout dans le yoga une tranquilité que je n’avais pas.
    Merci beaucoup et bon courage à toi
    Natali

    1. Emilie

      Hello Natali ! Je me suis formée en 4 ans à l’école Viniyoga de Claude Maréchal. Et puis dernièrement, je suis partie à Mysore pour un mois intensif pour une formation de Hatha chez Samyak. Je n’ai aucune idée si cela peut être pris en charge dans le cadre d’un CIF mais, à mon avis, c’est compliqué. Renseigne-toi tout de même 🙂 J’avais demandé à Pôle Emploi il y a déjà longtemps et ça ne se faisait pas. Mais les choses évoluent et avec de la persévérance, on ne sait jamais ! Je te souhaite plein de courage dans ta reconversion, et tiens moi au courant ? 🙂 bisous !

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