Yoga en Prison – Témoignage

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J’ai rencontré Annick lors d’un de ses cours de yoga. Je venais m’essayer au Hatha Yoga.

Peu de temps après cette première rencontre, ma curiosité m’amène à découvrir qu’Annick a donné des cours de yoga en prison.

Enseigner le yoga en prison, j’y pense depuis que j’ai choisi de faire ce métier.

Avant même d’ouvrir ce blog, j’avais envie de parler du yoga en prison. Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment. C’est une idée qui m’a toujours touchée. Un décalage tel, un paradoxe, que de faire côtoyer 2 mondes comme ceux-là.

Alors j’ai proposé à Annick de me parler de son expérience, et elle a tout de suite accepté.

La première question qui me taraudait quand j’ai appris qu’Annick avait enseigné le yoga en prison, c’était de savoir si c’était pour des femmes ou des hommes.

Un prof de yoga, qui plus est une femme, qui vient donner des cours dans une prison pour hommes, c’est… décalé? Pas assez fort. Irréel? Peut-être trop. Inconcevable? Presque.

Et pourtant…

Annick enseigne le yoga à une douzaine de détenus hommes. Des hommes abattus, souvent malades et faibles. On est bien loin des clichés US où les détenus sont jeunes et sur-baraqués.

J’ai été très surprise par l’état de santé, de fatigue, de manque de tonicité, de raideur, d’embonpoint de certains : ils traînent leur misère sur leur dos, ils sont tellement accablés. Surprise aussi par leur état mental : il n’y a quasiment pas de colère (sauf pour les jeunes) ; ils sont fatalistes. Je pense qu’ils ont accepté leur sort : « On n’a pas le choix ».

La première rencontre avec les détenus, Annick la partage avec André Weill. Il enseigne depuis 7 ans à la Maison d’Arrêt de Varces.

Ce qui m’a le plus surprise ce jour-là, c’est d’abord la prison par elle-même : les grands murs, les barbelés et le nombre de portes à franchir avant d’accéder à LA SALLE de yoga.

La chaleur en pleine canicule : plus nous montions, plus il faisait chaud et les odeurs. Odeurs de produits d’entretien, de désinfectants (2è étage : les soins), odeurs de nourriture puis enfin l’impression de suffoquer au 4è étage. Avec du recul c’est probablement l’angoisse qui m’étouffait.

Surprise aussi par les filets de sécurité placés au milieu de la cage d’escaliers, à chaque étage : « c’est en cas de suicide » me dit André …

Que cette montée m’a parue longue, toutes ces portes à franchir.

Longue attente aussi pour qu’un surveillant nous ouvre la fameuse salle.

Attendre enfin que les détenus arrivent, les uns après les autres.

Appréhension. Chaleur et moiteur. Trop habillée, pantalon trop chaud pour la saison et tee-shirt trop large et trop couvrant. Tout était TROP. Ne pas laisser apparaître quoi que ce soit de mon corps qui puisse les mettre mal à l’aise, seule femme au milieu de ce monde étrange. J’ai chaud mais je ne bois pas car… où sont les toilettes ?

La pièce où ont lieu les cours n’est évidemment pas exclusivement dédiée au yoga. Elle est également utilisée pour d’autres activités et sert aussi de lieu de culte. Cette pièce est fermée à clé de l’extérieur et n’a pas de fenêtre. Seulement « des meurtrières ». Au fur-et-à-mesure de leurs visites, Annick et André ont amené avec eux quelques tapis pour les détenus. Mais la majorité pratique à même le sol.

La salle donne directement sur le quartier disciplinaire de la prison, le fameux mitard. On entend hurler, taper. Le bruit est omniprésent.

La porte étant fermée de l’intérieur, seul un talkie-walkie fait le lien entre ce qui se passe dedans et dehors.

Il doit rester à la verticale. S’il tombe,  une alarme se déclenche.

Après 2 cours avec André, Annick se lance seule.

Elle sait que certains ne sont pas là pour le yoga. Atelier cuisine, crochet ou yoga, tous les moyens sont bons pour s’extraire de leur enfer de 9m².

Certains s’installent au fond de la salle pour lire, d’autres n’hésitent pas à interrompre le cours pour s’en griller une. Les tensions entre certains détenus sont parfois fortes et les altercations nombreuses.

Comment faire cours dans un tel contexte? En écoutant Annick me raconter son histoire, j’ai l’impression que c’est mission impossible.

Et puis il y a ceux qui ont besoin de se confier. Meurtriers, violeurs, pédophiles.  Il faut aussi composer avec ça. Enseigner une discipline censée ouvrir sur l’amour et le respect d’autrui à ces personnes qui ont commis le pire. Contradiction? Folie? Ou au contraire, une main tendue à ceux qui en ont peut-être le plus besoin? Difficile de juger. Et puis ce n’est pas à nous de le faire. Ils payent pour ce qu’ils ont commis. Repentis ou non, la souffrance aura certainement joué un rôle clé dans leurs actes, aussi abjectes soient-ils. Fermer les yeux sur cette souffrance ou pire, la nier, ne serait-ce pas aussi criminel?

J’écoute, j’essaie de ne pas me montrer atterrée face à l’horreur de ce que j’entends. J’apprends par certains que d’autres ont commis le pire qui puisse exister (pour moi). Souvent ce qu’ils ont fait, « eux », n’est rien par rapport à ce qu’ont fait « les autres » … Jugements entre eux. Ce jour-là je rentre chez moi « en vrac ». Je ne peux plus y aller. Ce que je sais maintenant me fait mal, trop de souffrance.

Mais Annick y retournera, plusieurs fois.

Car finalement, la prison c’est comme tout (ou presque). Il faut un temps d’adaptation. Et puis quand on va au bout d’une expérience, on a souvent de bonnes surprises.

Au fur et à mesure des cours, les relations évoluent. Les détenus deviennent des élèves et Annick en oublie même parfois où elle est. Certains s’engagent dans le dialogue. Des questions simples « Comment allez-vous aujourd’hui? » qui semblent presque décalées dans un tel contexte. D’autres se montrent protecteurs. D’autres encore expriment le souhait de pratiquer en dehors des cours et réclament des supports.

Aujourd’hui, contre toute attente, Annick me confie qu’elle serait totalement partante pour retenter l’expérience!

C’est d’ailleurs l’une des premières choses qu’elle m’a dite « Je le referai sans hésiter, je fais même du forcing pour y aller cet été! »

Elle y retourne cet été.

Il y a eu des moments assez forts. En fin de séance, je leur demande d’exprimer leurs ressentis (s’ils le veulent). Certains répondent qu’ils se sentent « vivants », « bien », « détendus » « je respire mieux » et d’autres n’ont rien à dire …

Mes sentiments après cette expérience, tellement bouleversante ? Je crois que j’ai grandi, j’ai été utile. Le yoga prend un nouveau sens.

Je crois que je comprends ce qu’Annick entend par « nouveau sens ». Je crois même que c’est pour cela que j’ai eu envie de me lancer moi aussi dans l’aventure yoga.

« Aider les autres », était la seule chose qui faisait écho dans ma tête quand je racontais que j’étais malheureuse dans mon travail et qu’on me demandait « Mais tu voudrais faire quoi en fait? »

Soulager d’un mal de dos, de problèmes de sommeil ou du stress, c’est déjà tellement important pour moi qui vient de me lancer dans l’enseignement. Je prends tous les retours positifs tellement à cœur. Toutes ces personnes qui me disent se sentir mieux pour telle ou telle raison grâce au yoga me confortent dans l’idée que j’ai bien choisi ma voie.

Mais avoir la possibilité d’apporter quelque chose à ces gens dans l’abattement le plus total, dans une détresse inimaginable, quel cadeau. J’admire André Weill pour son parcours en prison. J’admire Annick pour son courage et sa détermination dans cette aventure.

Alors quand Annick m’a demandée si j’étais tentée d’assister à l’un de ses cours en prison, je suis restée quelques secondes sans voix avant d’accepter.

Affaire à suivre…

Je remercie encore une fois Annick pour son temps accordé et ce partage d’expérience poignant.

Si ce témoignage vous a plu, je vous invite à lire celui d’André Weill tout aussi bouleversant.

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Cet article a 16 commentaires

  1. Claudia YogaPassion

    Bonjour Emilie,
    Wahou, ce matin je regarde un peu ce qui s’est passé sur le paysage Yoga sur le web. Et je vois les innombrables selfie de Yoga et tous les conseils habituels pour perdre son ventre grâce au Yoga ou réaliser tel ou tel asana avancé. Et là – moment de suspension – je le lis ton article. Et là je me dis que j’ai bien fait de sortir de mon lit et de mettre mes lunettes.
    Ton article est très touchant et je te remercie vraiment d’avoir partagé cela avec nous. J’ai aussi lu celui d’André Weill qui entre très bien en résonance.
    C’est admirable d’enseigner le Yoga en prison et je vois que cela peut créer une différence positive, ce qui est formidable !
    Je continue à suivre tes aventures et explorations et te souhaite une superbe journée,
    Claudia de YogaPassion

    1. Emilie

      Hello Claudia,
      Je vois qu’on est très matinales toutes les 2 🙂 Je suis contente que l’article t’ait touchée. Admirable, c’est le mot! Comme je le disais, c’est un sujet que j’ai toujours eu envie d’aborder. Je suis en attente d’une réponse pour accompagner à mon tour André ou Annick lors d’un cours. J’ai vraiment envie de le faire. Merci pour ton petit mot en tout cas et à très vite 🙂
      Belle journée à toi!

  2. kinnary_H

    Super article car super sujet ! Dans un registre tout aussi paradoxale, j’avais lu un article dans un mag US de Yoga sur les militaires qui faisaient du yoga pour gérer tout un tas de choses ! Comme quoi, le yoga c’est VRAIMENT pour tout le monde !
    Bises
    Kinnary (Active Imparfaite)

    1. Emilie

      Hello Kinnary!
      Super sujet en effet! Qui me tient tout particulièrement à coeur 🙂 Le yoga dans l’armée, je ne connaissais pas! Dans le même registre, il y a ces femmes palestiniennes qui se pratiquent le yoga comme un nouveau mode de résistance face au conflit. J’avais posté ça sur la page facebook début Juin. Quoi de plus beau finalement que d’amener ce genre de pratiques dans les endroits de la terre où on en a peut-être le plus besoin. Si ça t’intéresse: http://information.tv5monde.com/terriennes/le-yoga-nouveau-mode-de-resistance-des-palestiniennes-36243 🙂
      Bises,

  3. Leona Reading

    Témoignage poignant, merci pour ce partage. Je te comprends tellement quand tu dis “Aider les autres”, était la seule chose qui faisait écho dans ma tête. C’est exactement mon cas aussi et je trouve que ce que font Anick et André Weil est remarquable <3

    1. Emilie

      Coucou Léona,
      Je suis vraiment contente d’avoir rencontré Annick et d’avoir pu publié cet article. Ravie aussi d’être comprise dans ma démarche et de pouvoir partager mes valeurs avec de chouettes personnes comme toi 😉 A bientôt

  4. Tiphaine

    Coucou 🙂
    Merci beaucoup pour ton article et pour nous partager ce témoignage. Hâte que tu puisses vivre cette expérience et nous la raconter.
    Je sais d’avance que l’on aura beaucoup de visions communes quand on se rencontrera!
    Le yoga devrait en effet être dédié avant tout à ceux qui en ont le « plus » besoin, et je suis admirative des professeurs qui mettent cela en pratique.
    Je m’intéresse en ce moment beaucoup aux liens yoga & handicap, seniors, et Alzheimer. C’est passionnant 🙂
    J’avais vu aussi l’article sur les Palestiniennes, c’est vraiment beau. Il y a aussi une ONG, Africa Yoga Project, c’est génial, ils donnent même des cours dans des tribus Maasaï!
    http://www.africayogaproject.org/
    Belle soirée 🙂
    Tiphaine

    1. Emilie

      Hello Tif!
      Ton sujet Yoga & handicap & seniors m’intéresse aussi beaucoup! Je suis contente que l’on ait cette semaine de vacances pour parler de tout ça! Je ne connaissais pas ce projet Africa yoga et ça m’a l’air génial! Si tu as creusé un peu le sujet, je serai aussi ravie d’échanger avec toi!
      A très vite!

  5. Anne

    Whaou!
    Je suis toujours impressionnée par ces femmes qui vont dans les prisons pour hommes, elles sont quand même super courageuse…
    Merci pour ton article et bravo à Annick

    1. Emilie

      Merci Anne pour ton commentaire. Je suis contente que cet article t’ait plu. Annick est en effet une femme remarquable 🙂

  6. Annick Valla

    bonjour Emily,
    je te remercie pour l’attention que tu portes au yoga en prison, la relève est assurée alors ….
    Je ne suis qu’un petit grain de sable, toute petite en face de cette misère.
    Je ne suis qu’un petit soufffle de vie et de liberté en face de ces personnes si accablées et qui, pour la plupart n’ont rien à faire dans ce lieu, mais c’est un autre débat.
    Oui !! mercredi j’ai, un moment, oublié que j’étais dans une salle « en prison », mais les cris et hurlements de bêtes provenant du mitard me l’ont rappelé à maintes reprises, même si un moment j’ai refoulé quelques larmes qui osaient se frayer un chemin sur mes joues !! Alors, je respire, je pense à des moments joyeux de ma vie (mes petits enfants) et je reprends vite le fil de mon cours.
    J’aime mon job, que ce soit en prison, dans les écoles, dans les cours + classiques, avec des séniors : il y a toujours à donner et aussi à recevoir. C’est ça la mague du yoga.
    Prends oin de toi et bel été à toi Emily. Biz

    1. Emilie

      Coucou Annick,
      Merci encore une fois pour la richesse de ton témoignage et ta sincérité. Tu fais partie de ces profs qui me confortent dans mon choix et qui me rappellent pourquoi j’ai tant envie d’enseigner le yoga.
      Prends soin de toi aussi et on se voit à la rentrée j’espère! Bises

  7. Salut Emilie
    super article, très touchant … Figure toi que je m’étais déjà posé la question car je connais qqun qui donne des cours de guitare en prison. Je me demandais donc s’il pouvait y avoir quelque chose à faire là. Apparemment, c’est bien le cas.
    Quelle initiative !

    1. Emilie

      Hello Eve-Anne,
      Merci pour ton message. Et oui en effet, c’est bien possible de proposer du yoga en prison! Et du coup, tu serais toi aussi tentée par l’expérience ou tu étais juste curieuse de savoir si cela existait?
      A bientôt!

  8. Mae Vague

    Très contente d’avoir pu lire cet article. Je ne sais pas grand chose de la situation des prisonniers mais je pense que le yoga en prison pourrait apporter beaucoup. Et je suis heureuse que des profs aient le courage de passer au delà de leurs peurs et de leurs jugements (bien compréhensibles aussi) pour aller enseigner là-bas.

    1. Emilie

      Bonjour Mae,
      Je suis ravie que l’article vous ait plu. Je trouve cela très courageux que certains profs se lancent dans cette aventure. Ils ont toute mon admiration!

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