Paris, samedi 14 Novembre 2015, 13h. Au lendemain d’une date de 2015, une autre, qui marquera les esprits.
Depuis Septembre, je passe presque la moitié de mon temps dans la capitale. Après l’avoir quittée, il y a bientôt 5 ans, j’ai toujours eu un rapport bizarre avec Paris. Je n’aimais pas y venir, même occasionnellement. Trop de bruit, trop d’agitation, trop de gens, trop de tout.
Il y a près de 3 mois maintenant, alors que je venais y fêter mes 30 ans, je me suis à nouveau laissée convaincre par ses charmes. Et comme seuls les cons ne changent pas d’avis, me voici encore ici, à Paris.
En cette phase de transition un peu compliquée que je vis depuis cet été, je me sens souvent triste et, je dois le dire, un peu paumée. Vivre un amour à distance, moi à Grenoble et lui ici, ne facilite pas toujours la situation non plus. C’est la raison pour laquelle ce mercredi, sur un coup de tête post-apéro, j’ai décidé que quelques heures plus tard, je serai à Paris pour passer le week-end avec lui.
J’aime ces moments que l’on partage ici. On flâne aux Halles, on dîne à Montorgueil, on pédale jusqu’à Répu’ pour un petit verre. On ne prend presque jamais le métro, faisant tout à pied ou à vélo. La vie de rêve, quand tu vis ici, à Paris.
Hier aprèm’, on s’est enfin décidés à aller au Louvre, à 2 pas de chez lui. Après de 3h de visite, la pluie qui s’intensifie a raison de nous et de nos mes projets de resto.
En 3 mois d’histoire, c’est la première fois que l’on dîne « à la maison ». Ça paraît fou en fait. Il vit en coloc’, et le quotidien dans cet appart’ quand je suis là ne semble pas convenir à tout le monde. Alors on s’éclipse. Souvent. Presque tout le temps même. On squatte les terrasses des cafés, on écume les musées, on teste de nouveaux restos et on lèche les vitrines des plus beaux magasins. Je l’aime, ce Paris-là.
Et puis hier soir, heureux de bousculer nos habitudes et d’avoir l’appart’ pour nous tous seuls, on s’est créé une bulle. Une bulle de bonheur. Une bulle tellement intense qu’on n’a rien pigé à ce qu’il se passait dehors.
23h, les portables affichent des dizaines d’appels en absence, nos messageries saturent.
Quand on comprend enfin ce qu’il se passe, on allume la télé. On déteste ça la télé, mais pour une fois… On se dit que c’est encore le meilleur moyen de suivre les horreurs qui sont en train d’arriver à 2 pas de chez lui.
Notre bulle de bonheur éclate et chacun de nous retrouve la sienne, greffé à son téléphone. Vissés sur le canap’, on ne se parle plus. La priorité est ailleurs. Rassurer les uns; prendre des news des autres.
Minuit passé. Rideaux tirés, lumières éteintes. Les sirènes hurlent de partout, mais personne dans les rues. Et puis d’autres bruits. De ce qu’on n’a pas tellement l’habitude d’entendre. De ce qu’on entend même jamais en fait. Mais quand ça arrive, tu sais ce que c’est.
– « Tu crois que c’était des coups de feu? »
– « Je crois ouais »
Ça se répète, souvent. A la télé comme sur les réseaux sociaux, les mêmes images défilent, les mêmes témoignages, les mêmes commentaires. On n’en sait pas plus.
Certains proches de mon mec, pourtant bien loin de Paris, semblent dire qu’il y a du mouvement vers les Halles. Comment ont-ils eu ces infos? Aucune idée. Mais les étranges bruits du dehors semblent leur donner raison.
A la télé, toujours rien de neuf.
Plus tard, il paraît que ça bouge vers le Louvre. Et en effet, on a l’impression que les coups de feu se sont déplacés.
Et puis il y a les hélicos. Et toujours ces sirènes.
♦
La nuit est courte. Hier, quand on était encore dans notre bulle, j’ai bu beaucoup de vodka. Pourtant ce matin, pas la moindre trace d’une gueule de bois. Juste ce sentiment bizarre.
Le réflexe, improbable en temps normal, rallumer la télé. Et checker Facebook, bien sûr. J’ai de la chance je crois. Je me rends compte que mes amis ont la même réaction que moi vis-à-vis des cons qui revendiquent ces ignominies.
Beaucoup balancent des messages de soutien. Beaucoup d’amour, beaucoup de paix dans ces messages. Les discours plein de bon sens se déchaînent sur mon mur et me réchauffent le cœur. La plupart appellent au calme. Je suis profondément touchée. Je trouve ça juste beau.
« Même pas peur »
Ne pas se laisser envahir par la haine. Ne pas faire d’amalgame mal venu. Je suis fière de voir que mes contacts facebook reflètent, pour la plupart, ce que je suis aussi. Toujours ces messages de paix, ces messages d’amour.
Les posts défilent, les images aussi. « Not afraid ». Il y a en partout. Encore une fois, c’est beau. Le numérique dans toute sa splendeur. Son pouvoir de ces réseaux sociaux. Beaucoup de questions, de constats, se bousculent alors dans ma tête. Moi qui est vu grandir internet – quoi que, c’est peut-être bien lui qui m’a vu grandir – qui connaît aussi sa puissance, je m’interroge. Grâce à lui, à l’instant où j’écris ces mots, les mots d’amour inondent mon écran. Les parisiens, les français, tous utilisent ce merveilleux outil pour exprimer leur peine, mais aussi appeler à la paix. Pourtant, c’est probablement ce même outil qui a créé ce mouvement terroriste. Du moins, qui lui a donné sa puissance.
Je me rends compte, au vu des commentaires de mes contacts, que je suis du bon côté de la barrière. Alors je me demande ce que je penserais si j’étais du mauvais côté? Si j’étais cernée par les cons. Quel genre de personne je serais? Je ne dis pas qu’autour de moi il n’y a pas de con. Mais je me trouve chanceuse. Bien entourée. Probablement que, si je ne l’étais pas, moi aussi je serai tentée d’appeler à la haine, de faire des amalgames. Probablement. Mais je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, je me pose beaucoup trop de questions. Une bonne méditation ne me ferait pas de mal. Mais pas maintenant. Maintenant, j’ai plutôt envie d’être avec les gens.
Et moi, est-ce que j’ai peur?
Franchement, j’ai pas envie de m’arrêter de vivre. j’ai envie de poster cet article et de sortir prendre l’air. J’ai envie d’honorer le moment qu’on s’est promis avec ma meilleure amie de passage à Paris elle aussi. Malgré ses recommandations de rester bien au chaud à « la maison ».
Alors non, je n’ai pas peur de sortir. Pas là. Mais en vrai, je mentirai si je disais que je n’avais pas peur de tout ça.
Je ne vais pas revenir sur l’étymologie du mot terrorisme. Disserter sur le sujet serait vain, surtout qu’il y en a qui le font bien mieux que moi. J’ai bien compris que c’était ce qu’ils voulaient. J’ai bien compris que la meilleure réaction à avoir était, au contraire, de ne pas avoir peur.
Alors non, je ne vais pas m’arrêter de vivre. Mais je ne peux pas dire que je n’ai pas peur. Sentir que ce bordel se passait juste à côté de moi, hier soir, ça a été un sacré truc. Me dire qu’on aurait pu y être. Que ça s’est joué à rien.
C’est du concret là. La réalité. Ce qui se passe à la télé, tu le vois sous ta fenêtre ou dans les photos que partagent tes potes en temps réel. Comme affirmer que c’est pas flippant tout ça?
Après les attentats de Charlie le 7 Janvier, j’avais été littéralement bouleversée. Je me suis laissée emporter par mes émotions. C’était même trop parfois. Je suivais toutes les infos, en permanence, pendant plusieurs jours. Je pleurais beaucoup. D’un point de vue extérieur, ça devait être trop. Presque n’importe quoi. J’avais l’impression de porter la douleur de tout ces gens en plus de la mienne. Un beau bordel émotionnel.
Ce qui est arrivé hier est différent de ce qu’il s’est passé en Janvier. A mon sens, c’est plus grave. Parce que maintenant, plus personne n’est à l’abri de ces cons. On est tous concernés.
Alors face à ça, quelle attitude adopter?
Difficile de répondre à chaud à cette question. Peut-être qu’aujourd’hui, encore plus que d’habitude, j’ai envie de vivre avec encore plus d’intensité. D’aimer plus, de partager plus. De vivre plus. Ça paraît simple, presque con en fait. Mais je crois qu’on a tous besoin de ça, non? Pas vous?