Tirumalai Krishnamacharya est probablement l’homme grâce à qui l’Occident connaît aujourd’hui les mille et un bienfaits du yoga.
Figure emblématique de la discipline, il transmet notamment son enseignement à son beau-frère, BKS Iyengar, son fils T.K.V. Desikachar ou encore Pattabhi Jois.
Tour à tour, il envoya ses élèves en Occident prêcher la bonne parole du yoga. C’est ainsi qu’aujourd’hui nous pratiquons le yoga Iyengar, l’Asthanga Yoga, le Hatha Yoga et le ViniYoga.
Si le nom et le visage de Krishnamacharya ne vous est pas inconnu, peut-être connaissez-vous moins son histoire.
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Ce billet peut voir le jour aujourd’hui grâce à Claude Maréchal, notre Grand-Gourou ViniYoga, qui a eu la chance de passer pas mal de temps avec lui. Au cours des différents stages que j’ai pu faire avec Claude, il nous a partagé de nombreuses anecdotes concernant son maître, Desikachar, et Krishnamacharya.
Lorsque Claude fait la connaissance de Mister K. (on est bien d’accord, Krishnamacharya c’est un poil trop laborieux à écrire et à prononcer dans sa tête), ce dernier a déjà 80 ans. Claude le décrit comme un jeune homme à l’esprit d’une clarté extraordinaire et qui se tient droit comme un i.
Sur les 20 dernières années de sa vie, il a la chance de pouvoir s’entretenir avec Mister K. a de nombreuses reprises.
Je suis heureuse aujourd’hui de pouvoir vous partager cet héritage précieux et unique.
Krishnamacharya parlait Sanskrit
Il le parlait. Pour te donner une idée du délire, c’est un peu comme si Molière parlait le latin. Car, pour rappel, le sanskrit est une langue morte depuis belle lurette.
Je suis déjà admirative de Claude qui connait les Yoga Sutras par cœur et qui, lorsqu’il parle, utilise 1 mot sur 3 en sanskrit. Mais là, sacré level le Mister K.
C’est lorsqu’il a 5 ans que son père lui apprend à l’écrire et à le parler. Il poursuivra sa formation en sanskrit à l’université de Bénarès. Le parlant couramment, il donna à son tour des cours de sanskrit à ses élèves.
Krishnamacharya et la renaissance du yoga
Mister K. naît en 1888 en Inde, pays qu’il ne quittera jamais. Il pratique le yoga dès son plus jeune âge en suivant l’enseignement de son père. Mais c’est sa rencontre avec Sri Ramamohan Brahmachari qui va bouleverser sa vie, et probablement aussi le cours de l’histoire.
Brahmachari est un professeur de yoga renommé installé sur les hauteurs du Mont Kailash, dans l’Himalaya. Il accueille Krishnamacharya dans son « école » pour lui transmettre tout ce qu’il sait du yoga. Mister K. passera 7 ans dans une caverne à étudier les Yoga Sutras de Patanjali, les techniques posturales (asanas) et respiratoires (pranayama) ainsi que les aspects thérapeutiques du yoga.
A son retour à Mysore 7 ans plus tard, le yoga a perdu de sa ferveur. Devenue une pratique presque marginale, il n’est quasiment plus enseigné. Pourtant, Mister K. est bien décidé à tenir la promesse faite à son maître, Brahmachari : se marier, élever ses enfants et transmettre le yoga.
Poursuivant sa mission de prof de yoga, il se voit finalement proposé par le Maharaja d’ouvrir une école de yoga. Il a alors 34 ans et l’aventure commence.
Le yoga se transmettait traditionnellement de maître à élève, entre hommes et entre brahmanes. Descendu de son Mont Kailash plus motivé que jamais, non seulement Mister K. donne au yoga un second souffle en Inde, alors qu’il est en train de disparaître, mais il choisit de sortir totalement du cadre. Il enseigne le yoga à ses filles et ouvre des cours collectifs. Il le rend accessible au plus grand nombre.
Non content d’avoir relancé la pratique dans son pays, il envoie ses disciples en Occident.
Voilà comment le yoga a failli disparaître en Inde et n’a failli jamais arriver jusqu’à nous. Heureusement pour nous, Mister K. était là ! C’te classe quand même.
Mister K. était matinal
Le Miracle Morning et tous les lève-tôt de 5h du mat’ peuvent aller se rhabiller. Mister K., lui, se levait tous les matins à 2h. Exigeant avec soi-même comme avec les autres, il allait sonner les cloches de la maison familiale pour, disait-il, réveiller les dieux. Je ne sais pas si les dieux appréciaient le beau geste mais la famille qui ronquait peinard, j’ai quelques doutes.
Entre 2h et 7h du matin, Krishnamacharya pratiquait le yoga. Asana, pranayama, méditation et chants védiques rythmaient ses matinées.
A partir de 7h, il recevait ses premiers patients.
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Tu veux devenir un Mister K. en herbe ? Regarde notre vidéo sur le Yoga du Matin pour te lever du bon pied et garder la pêche toute la journée !
Krishnamacharya, le fin gastronome
Mister K. ne mangeait qu’une fois par jour. Amplement suffisant pour lui. Mais pour quelqu’un comme moi qui mange à peu près toute la journée, c’est juste inimaginable.
A ce propos, il disait souvent:
Celui qui mange 3 fois par jour est un malade.
Celui qui mange 2 fois par jour est un jouisseur.
Celui qui mange 1 fois par jour est un yogi.
Entre les cloches à 2h du mat’ et les repas conviviaux, ça devait pas rigoler tous les jours à la maison !
La mort de Krishnamacharya
Lorsque Mister K. est mort, Claude était en Inde. Il nous raconte son histoire que je vous retranscris ici.
Un jour, Krishnamacharya fut emmené à l’hôpital car il se sentait très mal. Là-bas, de nombreuses tentatives ont été faites pour le maintenir en vie. Je crois que l’on peut même parler d’acharnement thérapeutique.
TKV Desikachar, mon maître et fils de Krishnamacharya décide un matin d’aller chercher son père à l’hôpital et de le ramener à la maison familiale.
Installé dans le vestibule, Krishnamacharya est allongé en savasana. Il est dans le coma. Chaque jour, différents membres de la famille affluent pour lui rendre visite. Ils se réunissent autour de lui et chantent des chants védiques.
Avant que tout cela n’arrive, Krishnamacharya semblait déjà connaître le moment de sa mort. Ou bien l’avait-il décidé ? Plusieurs années en arrière, il m’a rapporté qu’alors qu’il discutait avec un homme et qu’ils évoquaient leur prochaine rencontre, Mister K. dit « Ne venez pas me voir, je serai mort ».
Ce matin-là, je partais prendre mon avion pour la Belgique. Alors que je commandais mon taxi, mon maître Desikachar me dit « Passez par la maison avant d’aller à l’aéroport ».
J’ai quelque peu hésité et ai finalement demandé au taxi de faire un petit détour en partant.
Le taxi arriva devant la maison familiale de Krishnamacharya où Desikachar ne vivait plus depuis longtemps. Pourtant, mon maître était là. Dehors, sur le pas de la porte; on aurait dit qu’il m’attendait. Qu’il savait. Je me suis approché. « Voilà, il est mort ». Cela faisait quelques minutes qu’il nous avait quitté. Nous sommes entrés et je suis resté un instant près de son corps avant de repartir pour l’Europe.
Mister K. est mort à l’âge de 101 ans à Madras.
Claude nous a raconté cette histoire cet été. Je l’ai trouvé touchante, riche de sens et surtout, emplie d’une telle forme d’amour que j’ai eu envie de vous la partager.
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Cette histoire, comme toutes les autres anecdotes de ce billet, sont l’héritage extraordinaire que Claude Maréchal nous transmet à chacune de nos rencontres. Nous, ce sont ses élèves qui avont la chance de pouvoir suivre son enseignement. Une chance inouïe, d’autant plus que nous serons sa dernière promo.
A chaque fois qu’il raconte ces histoires, je m’empresse de prendre des notes. Appliquée, je l’écoute avec déférence, mais aussi avec une certaine pudeur. J’ai conscience de la portée de ses témoignages, de leur valeur inestimable, et en même temps du caractère très intime. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai mis du temps avant de les partager. Lorsque j’ai demandé cet été à Claude s’il était d’accord pour que ces histoires apparaissent sur le blog, il a répondu oui, tout naturellement. Je lui en suis infiniment reconnaissante pour cela. Infiniment.
Cet article a 4 commentaires
le film » le souffle des dieux » nous décrit le parcours de Mister K par son fils .K.V. Desikachar … film magnifique…
Et par Iyengar, essentiellement d’ailleurs 🙂
Merci pour ce partage. Emotion!
Avec plaisir Marlène 🙂
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