Vous la connaissez bien cette expression, hein ? Thérapeutes, amis, collègues, on vous la sert à toute les sauces. On la retrouve partout sur le web, comme une recette miracle vers un mieux-être. « Apprenez à lâcher prise », « Les clés pour lâcher prise » et j’en passe. Cette expression est même devenue un nom commun: « Le lâcher-prise: la méthode infaillible », « Quand le lâcher-prise bouleverse notre vie » et blablabla et blablabla. Les magazines féminins en raffolent, mais ils ne sont pas les seuls.
Ton boss te tyrannise ? Ton colloc’ n’en fout pas une ? Ton mec passe toutes ses soirées au bar ? Tes gosses se font racketter à l’école ? Tes premiers cheveux blancs pointent le bout de leur nez ?
Une seule solution, « lâche prise ».
Loin de moi l’idée de fustiger la bienveillance de ceux qui nous servent cette expression à tour de bras et encore moins de remettre en cause le fond. Je ne suis pas non plus là pour descendre les magazines féminins et les blâmer de surfer sur une tendance. Car oui, clairement, le lâcher prise est devenu une tendance.
Mais alors, me direz-vous, pourquoi tant de virulence vis-à-vis d’une simple expression? Finalement, on s’en fout que ce soit une tendance, si c’est pour aider les gens à se sentir mieux. Oui, ok. Mais ce ne serait pas un peu sur-fait tout ça?
Pour être honnête, cette expression ne me parle pas. Du moins, je ne suis pas sensible à ces mots. Lâcher-prise est pour moi un fourre-tout, un truc que tu sors à quelqu’un quand tu n’as pas d’autre solution à lui apporter, pas de véritable conseil de fond. Bref, très en vogue certes, mais qui manque de consistance.
Elle est tellement utilisée à tors et à travers qu’elle a perdu, pour moi, tout son sens. Toute sa valeur.
Et puis, depuis que j’ai lu le bouquin sur la méditation de Jeanne Siaud-Faquin, Comment la méditation a changé ma vie…: et pourrait bien changer la vôtre ! Je me suis sentie moins seule dans mon combat avec ce mot !
Elle pose la question « Méditer, c’est du lâcher prise ? » et adopte une position singulière en mettant à mal cette expression.
« Comment lâcher-prise quand, précisément, on n’y arrive pas ? […] Ce mot à la mode m’énerve et je le trouve irrespectueux pour tous ceux qui sont en prise avec un mental tyrannique. »
Décidément, je l’aime beaucoup cette femme.
C’est quoi « lâcher prise » ?
Je me suis vraiment posé la question. Quand t’es au bord du burn-out et qu’on te conseille de lâcher-prise, qu’est-ce que ça veut dire ? Concrètement ?
Lâcher prise sur quelque chose, c’est le laisser aller. Le laisser partir. Ne pas s’y agripper, s’y attacher.
Et c’est bien beau tout ça, mais concrètement, ça marche comment ?
Parce que si je reprends mes petits exemples cités plus haut, comme « ton boss te tyrannise », qu’est-ce que ça voudrait dire de lâcher-prise?
Le laisser faire ? Sûrement pas.
Nier la situation ? Toujours pas.
Lui rentrer dedans ? Hum j’ai franchement des doutes… Quoi que ? 🙂
Mais alors quoi ? Quelle est la solution dans ce cas? Qu’est-ce que tu entends par lâcher-prise?!
Autre exemple, ton estime de toi est un peu en berne en ce moment et OMG ! le seul petit cheveu blanc que tu arborais presque comme une fierté s’est soudainement reproduit en mode exponentiel.
Comment tu lâches-prise ?
Tu les arraches un à un même si tout le monde te dit que ça ne fait qu’empirer le problème ? Mouai non…
Tu te terres chez toi jusqu’à ce que ta meilleure amie revienne avec une coloration à l’ammoniac très très très longue durée ? Non plus.
Tu les laisses vivre leur vie en espérant que ça devienne carrément tendance ? Pffff.
Alors tu fais quoi ?
♦
Je crois que le contexte dans lequel je suis encore plus consternée par cette expression, c’est quand elle est utilisée pour représenter un état général, comme un état d’esprit.
« Je me mets au yoga car je veux lâcher prise »
« Hummm oui… Lâcher prise sur quoi ? »
« Bah lâcher prise, c’est tout »
« D’accord ».
Tout est dit. Si c’est pas de l’abus de langage ça.
Mais plutôt que de descendre avec véhémence cette expression qui manque de sens pour moi, essayons de lui trouver des synonymes, des termes qui me parlent plus.
Dans les Yoga Sutras, Patou – oui oui, Patanjali sera désormais Patou, c’est beaucoup plus mignon 🙂 – nous parle du lâcher-prise.
On retrouve cette idée dans le livre 1, lorsqu’il parle du détachement. D’ailleurs, l’une des traductions des Yoga Sutras utilise très clairement le terme « lâcher-prise ».
« L’arrêt des perturbations du mental s’obtient par une pratique intense, dans un esprit de lâcher-prise »
Traduction de Françoise Mazet, YS Livre 1 Aphorisme 12
Elle l’emploie d’ailleurs à d’autres reprises, systématiquement lorsqu’en ViniYoga on emploie plutôt le mot « détachement ».
A ce propos, si vous ne l’avez pas encore lu, je vous invite à consulter l’article sur le détachement où, à travers une expérience très personnelle, je décrypte un peu ce qui se cache derrière ce que Patou essaye de nous dire.
Mais alors, est-ce que lâcher prise voudrait « simplement » dire « se détacher »? Comme « prendre du recul sur les choses »? Peut-être.
Mais pour moi, il peut y avoir aussi une autre idée derrière cette expression. J’en ai déjà parlé rapidement dans un article sur Patanjali justement.
Cette idée, c’est celle du contentement. Le fameux shantosha. L’idée qu’il faut savoir accepter, accueillir ce qui arrive comme cela arrive.
C’est également l’idée du Stoïcisme. Dans le Manuel d’Epictète, un livre que j’aime beaucoup, on retrouve cette fameuse citation:
« Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu désires ; mais désire que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux. »
On y est. Le lâcher-prise, c’est ça pour moi.
Mais attention! On n’est pas dans l’acceptation molle et passive de ce qui arrive. On est véritablement dans l’action. Un mot cher à Patou aussi, d’ailleurs.
Comment lâcher-prise?
Mais alors, comment faire pour lâcher-prise dans ce cas?
Pas sûr qu’il y ait une recette miracle. Pour ma part, le yoga et la méditation m’aident beaucoup à avancer sur le chemin du détachement.
Ce qui est drôle, c’est que le Stoïcisme. Dans le Manuel d’Epictète et la philosophie stoïcienne en général me touchent depuis ado. Bien avant de connaître le yoga. Aujourd’hui, je relis ce bouquin avec un autre regard, éclairé par les allégations de Patou.
Reprenons une dernière fois les fameux exemples.
1 – Ton boss te tyrannise.
Bon, il est évident que cette personne a un gros problème d’ego. Ce qui n’a RIEN A VOIR AVEC TOI. Tu n’es pas responsable de ce qui arrive. Accepter que le comportement malveillant de certaines personnes n’a parfois (souvent?) rien à voir avec soi, c’est déjà un sacré pas de fait.
Alors pour faire simple, commencer par ne pas prendre les choses personnellement permet déjà de prendre un certain recul. Recul nécessaire pour entrer dans une phase d’acceptation de son comportement, voire carrément d’empathie.
Compréhension et empathie devraient permettre d’avancer sur un terrain plus serein, laissant la place à une nouvelle phase: la communication.
Facile à dire, mais se rappeler que la malveillance de ceux qui la portent est toujours souvent le reflet d’une souffrance, ça peut aider aussi.
Mais encore une fois, facile à dire!!
2 – Tu te fais des cheveux blancs.
Et oui, tu vieillis! Un processus tout à fait naturel qui, tiens-toi bien, touche tout le monde! Ce qui devrait déjà te rassurer un peu. Lâcher-prise, c’est accepter ce changement physique qui s’opère irrémédiablement. Je ne te dis pas de le prendre comme un quelconque signe de sagesse ni de sauter au plafond dès que tu en trouves un, mais accueillir ce qui se passe avec contentement est probablement la meilleure chose à faire.
Par ailleurs, fais du yoga! Il paraît que ça rajeunit! 😉
Sinon, tu fais comme Elsa, et tu « let it go, let it gooooooooooooooooo » 😉
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Et vous le lâcher prise, ça vous parle ?
Cet article a 2 commentaires
Salut émilie,
S’il y a bien une expression que j’entends souvent, c’est « Je sais, il faut que je lâche prise ». La preuve que ce n’est pas aussi simple que ça est qu’on a beau se le répéter, ça ne fonctionne pas.
On a beau vouloir lâcher le truc consciemment, si notre inconscient est persuadé qu’on va se casser la pipe en lâchant la branche à laquelle on s’accroche ou qu’on va se prendre un 38 tonnes dans la tête, bonne chance pour juste « lâcher ».
Le recul, le détachement, ça me parle plus aussi.
Je crois que les « vrais » moments de lâcher-prise sont rares. Soit dans des situations de totale impuissance, où on n’a plus trop d’autre choix que de sauter dans le vide. Soit si on a fait une démarche pour tout doucement faire comprendre à notre inconscient qu’il peut tenter le coup.
Après, je me dis qu’il y a peut-être une question d' »entraînement ». Dans le sens, si j’ai sauté une fois dans le vide et constaté qu’au bout du compte tout va bien, ce sera peut-être plus facile de recommencer … Mais bon, pas sûre …
Bises
Hello Eve-Anne, je suis tout à fait d’accord avec toi. Je pense qu’une fois que l’on s’est fait confiance et qu’on a su « lâcher », ou se détacher (d’une situation, d’un problème, d’un objet, d’une personne et en j’en passe), il est sûrement plus facile de recommencer. Car y parvenir la première fois, c’est peut être aussi se rendre compte que l’on ne risque rien à essayer. Au contraire même. Ce qui en ressort est souvent tellement plus beau. Bref, savoir parfois se laisser aller et faire confiance à la vie n’est pas si simple, mais je crois que ça vaut le coup d’essayer 😉 A bientôt
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